Il était une fois le burn out

February 24, 2023

J’adore les histoires. Depuis toujours, dès que j’entends  » il était une fois », je m’immobilise immédiatement, j’ouvre grand mes oreilles et mes pensées s’apaisent pour me permettre d’être entièrement disponible à l’histoire et l’enseignement qu’elle propose. Je vais donc vous raconter une histoire de sorciers et de chaudron ou toute potion, si magique soit-elle, finit toujours par cramer sous un feu brûlant.

C’est donc l‘histoire du burn-out que je vais essayer de vous raconter à ma manière, au fil de ces principaux chapitres.

Il était une fois … le burn-out

1960, il était une fois le burn-out et Claude Veil

Il était une fois, il y a fort fort longtemps, dans les années 1960, un psychiatre français nommé Claude Veil, introduit pour la première fois le concept d’épuisement professionnel, plaidant pour une psychiatrie élargie aux troubles liés au travail et la prise en considération des exigences proprement humaines du travailleur dans les nouvelles formes d’organisation et de rationalisation du travail.

En 1959, dans un article intitulé « Les états d’épuisement. “Primum non nocere” », publié dans le Concours médical 23 : 2675-2681 , il décrit l’apparition de l’épuisement quand il y a franchissement d’un seuil dans une situation professionnelle :

« l’état d’épuisement est le fruit de la rencontre d’un individu et d’une situation. L’un et l’autre sont complexes, et l’on doit se garder des simplifications abusives. Ce n’est pas simplement la faute à telle ou telle condition de milieu, pas plus que ce n’est la faute du sujet ».Claude Veil

J’aime assez l’ allégorie qu’il utilise. Finalement,« Tout se passe comme à la banque : tant qu’il y a une provision, les chèques sont honorés sans difficulté, quel que soit leur montant. Mais dès qu’on se trouve à découvert, le tirage, si petit soit-il, devient impossible. Chaque individu possède ainsi un certain capital, une marge d’adaptation, plus ou moins large, et qui lui appartient en propre. Tant qu’il reste à l’intérieur, en homéostasie, il peut en jouer indéfiniment. S’il vient à la saturer, la fatigue (le relevé de compte) l’en avertit ; s’il continue, même le plus petit effort supplémentaire va le conduire à la faillite, il se désadapte. Cherche-t-il des expédients de trésorerie ? Ce sera le dopage, le café, l’alcool surtout ».

1970, il était une fois le burn-out et Herbert Freudenberger

Un peu plus loin, et un peu plus tard, dans les années 1970, le terme de « burn out » apparait, issu des travaux de recherches d’ Herbert Freudenberger, psychiatre et psychothérapeute allemand établi à New-York.  Il décrit d’abord la perte d’enthousiasme de bénévoles consacrant leur temps et leur énergie à aider les usagers de drogues dures. Ces personnes dévouées, engagées dans une cause souvent vaine et frustrante, s’épuisent rapidement et perdent le sens de leur implication et de leur motivation initiale.

Dans un article publié en 1974, intitulé « Staff burnout » Herbert Freudenberger désigne par le terme de Burn-Out Syndrome cet état d’épuisement émotionnel, qu’il explique ainsi:

« En tant que psychanalyste et praticien, je me suis rendu compte que les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie dans notre monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte ».Herbert Freudenberger

Voilà, nous y sommes…Je vous invite à lire « La recette d’un bon burn-out » où je partage ces observations communes.

La métaphore de la bougie d’ Hubert Freudenberger après avoir éclairé de longues heures n’offre plus qu’une flamme désuète puis finit par s’éteindre

1980, il était une fois le burn-out et Christina Maslach

Puis, au début des années 1980, la psychologue américaine Christina Maslach va étudier et analyser l’épuisement survenant en milieu professionnel. Selon elle, le burn-out trouve ses racines, en réponse à une quantité de facteurs stressants s’inscrivant dans la durée. Cette chercheuse en psychologie sociale a conduit de nombreux entretiens auprès de personnes émotionnellement «éprouvées» par le travail. Elle élabore ainsi une première échelle de mesure qu’elle applique à une population de personnes travaillant dans les domaines sociaux, de la santé et de l’enseignement. Les analyses statistiques des résultats mettent en évidence plusieurs dimensions qu’elle prend en compte pour construire une deuxième échelle plus affinée, le  » Maslach, Burn-out Inventory ou MBI « .

Cette échelle permet d’évaluer:

  • le niveau d’épuisement professionnel
  • le degré de dépersonnalisation , la perte d’empathie et la déshumanisation
  • le niveau d’accomplissement personnel perçu au travail
Le MBI de Christina Maslach, une méthode d’évaluation de référence mais souvent contreversée

En résumé, sa théorie souligne qu’un investissement émotionnel excessif d’un soignant auprès des malades dont il a la charge, le conduit à épuiser ses réserves d’énergie et d’empathie. Afin de se protéger d’un épuisement total, il risque de se désinvestir de la relation jusqu’à déshumaniser le malade, c’est-à-dire le considérer comme une chose plutôt que comme une personne. Et tristement ainsi, le soignant finit par perdre ce qui fait la richesse et l’intérêt de son métier, la fierté de faire un travail de qualité. C’est ce que les psychologues appellent la « perte d’accomplissement professionnel ». Toutes ces observations ont ensuite été étendues à l’ensemble des professions.

Bien entendu, comme nous le verrons plus tard, ces observations sont non exhaustives et ont évoluées aujourd’hui, tant le monde de la santé a changé avec ses nouvelles contraintes et missions dont je vous parlerai dans  » Le bon four pour réussir son burn-out ».

Les travaux de Mme Christina Maslach sur le burn out des soignants dans les années 1970 ont eu un grand impact. Elle demeure une référence incontournable encore aujourd’hui bien que son échelle de mesure soit souvent soumise à polémiques.

Le MBI ou Maslach Burnout Inventory, est un outil qui permet seulement d’évaluer la sévérité du Burn-out et beaucoup considèrent qu’il ne faut pas additionner les scores des diverses dimensions pour évaluer globalement le burn-out. En effet, il n’y a pas une valeur au-delà de laquelle on peut considérer que l’intéressé est en burn-out ( il n’y a pas de cut-off). Cet outil permet simplement de distinguer pour chacune des dimensions, si c’est faible, moyen ou élevé.Ce qui en fait un test plutôt qualitatif que quantitatif.

2016, il était une fois le burn-out et l’académie de médecine

Comme le souligne Claude Veil, dès le début de ces observations, il s’agit donc d’un syndrome frontière, dont l’analyse, la prévention et la prise en charge questionnent 2 champs habituellement peu communiquant, la santé et le travail, en associant également le champs social, dont la collaboration semble encore bien infructueuse et peu efficace comme le suggère à mots couverts le rapport de l’académie de médecine du 23 février 2016. Celui-ci questionne l’inadéquation des outils d’évaluation, l’imprécision du concept du burn-out maintenu absent de la nosographie psychiatrique et la faible implication des organismes sanitaire de fait.

Tant de débats, de recherche et toujours pas de réponses au burn-out

2017, il était une fois le burn-out et la commission des affaires sociales

Un an plus tard, en février 2017, un rapport est déposé à l’assemblée générale par la commission des affaires sociales en conclusion des travaux de la mission d’information relative au syndrome d’épuisement professionnel ou burn-out. Suite à plusieurs missions et travaux, il décrit la difficulté à qualifier la réalité du burn-out et d’en estimer la prévalence, en soulevant la complexité de son intrication médicale, juridique, économique et sociale.

Et Marisol Tourraine, alors ministre des affaires sociales et de la santé, charge la Haute Autorité de Santé de «l’élaboration de recommandations de bonne pratique à destination des médecins du travail et des médecins généralistes sur le repérage, la prévention et la prise en charge du syndrome d’épuisement professionnel (SEP) ou burn-out, ainsi que sur l’accompagnement des personnes lors de leur retour au travail ». et Plouf! Quid des résultats???

2019, il était une fois le burn-out et l’OMS

Et puis, roulement de tambour fin mai 2019 !  L’organisation mondiale de la santé annonce la reconnaissance du burn out en tant que maladie avant de démentir 2 jours plus tard en faisant passer le burn out de « facteur influençant  l’état de santé » (ce qui ne signifie pas grand chose) à « phénomène lié au travail » (ce qui ne signifie pas grand chose non plus d’ailleurs) !!!

Tout ça au moment même du procès historique de France Telecom qui comparait pour harcèlement moral suite à la vague de suicide dans l’entreprise il y a dix ans !!!

L’obstacle majeur à la lutte contre le burn out n’est pas seulement l’absence d’une définition convaincante, consensuelle, et réellement opérante. Nous voyons bien que celle-ci soulève d’ailleurs plus de de questions que de réponses adaptées. Et le burn-out ne ne trouve toujours pas sa place dans les classifications médicales de références.

Mais … Pourquoi???

Mais pourquoi, le burn-out est il si compliqué à définir et a reconnaître?

Il serait erroné de faire du burn out le révélateur d’une faiblesse personnelle préexistante. Car c’est bien l’environnement dans lequel les individus travaillent – notamment l’organisation du travail – qui génère le burn out et non les personnes elles-mêmes. Le burn out survient généralement chez des sujets n’ayant connu antérieurement aucun trouble mental. Il apparaît également bien souvent à partir d’une position de force et de réussite plutôt que de faiblesse et s’installe de manière sournoise et insidieuse sans que les titres ou l’expérience professionnelle jouent un véritable rôle protecteur.

Voilà donc un bref tour dans l’histoire d’un bon burn-out.

Aujourd’hui, ce sujet est largement médiatisé, politisé, utilisé, mais malgré certaines bonnes volontés en matière de sensibilisation, il n’y a pas de résultats significatifs sur l’évaluation, le repérage, la prévention, l’accompagnement et la reconnaissance des personnes qui souffrent de burn-out. Peut-être que, comme le disait Simone Weil la philosophe pas celle qui repose au Panthéon, dans « La condition ouvrière » :

 » On dégrade l’inexprimable à trop vouloir l’exprimer ».Simone Weil

Et personne ne veut entendre, voir ou parler. Le burn-out ou la recette dont on ne doit pas prononcer le nom

Je vous invite à poursuivre ces réflexions dans  » la critique gastronomique du burn-out », dans laquelle j’essaie, tout à fait humblement, de questionner les raisons qui limitent les différentes tentatives de résolution du problème. Ces pistes peuvent être des repères permettant d’alléger cette culpabilité scepticémique qui met en doute notre humanité et les valeurs profondes de notre engagement dans le soin.

Le prochain article  » le bon four pour réussir son burn- out » sera consacré à ces fameuses conditions de travail et aux risques psycho-sociaux particuliers aux métiers de l’accompagnement du soin. Et il faut en parler. Pour chasser les sorcières, il faut commencer par en parler!!!

La chasse aux sorcières est ouverte… et ça va durer longtemps !

J’aimerais terminer par  » …Et ils vécurent heureux pour le restant de leur jours ». Mais quand on est en train de cuire doucement mais sûrement dans la marmite, vous auriez du mal à me croire.

Pour le moment les amis, je me demande bien qui va gagner le tournoi des 3 sorciers?

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